Au XIXe siècle, la fréquentation des cabarets et des théâtres est un aspect fort important de la culture urbaine, populaire ou petite-bourgeoise.
Accusés de favoriser l’ivrognerie, la violence et la prostitution, les cafés populaires et les cabarets sont souvent dénoncés comme des lieux de débauche.
Pendant tout le XIXe siècle, le peuple de Paris fréquente des bals publics où l’on danse les dernières danses à la mode. En 1843, les fils Mabille ouvrent sur les Champs-Elysées un bal révolutionnaire par son utilisation de l’éclairage au gaz et de danseurs professionnels.
Les Parisiens vont rire et pleurer devant toutes sortes de drames, mélodrames, vaudevilles, opéras et opéras-comiques. Si le théâtre de Guignol est plutôt destiné aux pauvres,
si L’Ambigu-Comique ou La Gaîté ont la réputation d’être des salles populaires, la majorité des théâtres de boulevard accueille un public mêlé : même si le petit peuple domine les salles, les billets bon marché (quelques dizaines de centimes au “ paradis ”) et plus chers (parfois cinq francs la place dans une loge) imposent une certaine diversité sociale.
Offenbach triomphe aux Variétés sous le Second Empire, tandis que les pièces de Labiche et de Meilhac et Halévy remportent des succès éclatants dans les théâtres de boulevard des années 1870 et 1880.
Le cabaret L’Enfer, photographié par Atget en 1898, présente au client ses peintures de femmes nues suppliciées et une gueule de monstre ouverte pour le dévorer : ces figures d’effroi annoncent par dérision les réjouissances et les plaisirs qui l’attendent à l’intérieur. Le boulevard de Clichy, situé à l’emplacement de l’ancien mur des Fermiers-Généraux, comptait, outre les cabarets jumeaux Le Ciel et L’Enfer, de nombreux bals, cabarets et estaminets, comme le bal de l’Ermitage, La Taverne du Bagne (1886), Les Frites Révolutionnaires (1888), le bal du Moulin-Rouge (1889), Le Néant (1892), La Lune-Rousse (1904) et Les Truands. Dans ces cafés-concerts, des spectacles sont souvent donnés : Aristide Bruant et son cabaret connaissent à la Belle Epoque un énorme succès. Aristide Bruant (1851-1925) commence sa carrière de chansonnier au Chat Noir, bientôt rebaptisé Le Mirliton, avant de se produire aux Ambassadeurs. Ses chansons, sketches et harangues le rendent extrêmement populaire auprès du peuple. En tout, Toulouse-Lautrec a dessiné pour lui quatre affiches. Ici, il le représente de dos, le visage sillonné de rides, entouré d’un homme et d’une femme élégante assise, un verre à la main. Les tonalités brunes, la ligne précise et sobre, le réalisme du dessin donnent une impression d’authenticité, mais aussi de rudesse — cette rudesse qui rendait l’ironie de Bruant si efficace. Le succès des cafés-concerts et des théâtres repose dans une certaine mesure sur le talent des artistes qui s’y produisent. Les deux Acteurs comiques de Daumier déploient tout leur génie pour exprimer des sentiments contradictoires : l’acteur de droite, les yeux au ciel, semble triompher avec un rictus de satisfaction, alors que son compagnon, tête baissée, grimace de colère et de déception. Cette paire de comédiens, peinte avec force, joue les Fourberies de Scapin de Molière, auteur que Daumier admirait beaucoup. On retrouve la même expression comique et forcée sur le visage du “ Pierrot surpris ” de Nadar. Ce portrait du mime Charles Deburau (1829-1873), fils du très grand mime Baptiste Deburau qui, dans les années 1830 et 1840, popularisa le personnage de Pierrot au Théâtre des Funambules sur le boulevard du Temple, appartient à une série de photographies nommées “ Têtes d’expression ”. Précisément, l’expression du mime est remarquable par son pouvoir d’évocation et l’exagération de la surprise. Magnifique étude du visage humain, la série des Pierrot reçoit une médaille d’or à l’Exposition universelle de Paris en 1855. Le “ Pierrot surpris ” de Nadar et les Acteurs comiques de Daumier portent tous des costumes qui renforcent l’effet comique. Pierrot est grimé et noyé dans un drap blanc informe, conformément à la tradition de la commedia dell’arte ; les comédiens de Daumier portent, l’un, un habit noir à collerette, l’autre, une cape blanche, qui en se touchant créent un contraste saisissant.
Les théâtres du boulevard du Temple (dit boulevard du Crime), les bals et les cabarets du boulevard de Clichy et les artistes tels que le mime Deburau et le chansonnier Aristide Bruant connaissent au XIXe siècle et au début du XXe un succès immense. Il est intéressant de noter qu’ils possèdent tous, peu ou prou, un aspect de subversion. Dans ses chansons, Bruant s’attaque directement à la propriété, au travail et à l’argent, piliers de la société bourgeoise. Pierrot est un héros populaire qui, par sa pantomime joyeuse, sa folie carnavalesque, ses distorsions physiques et sa bouffonnerie, conteste l’ordre établi. De même, les valets et les servantes de Molière se moquent de leurs maîtres. C’est cet esprit frondeur que Daumier restitue avec un génie de la caricature qu’il exerce aussi contre les personnalités politiques de la Monarchie de Juillet. A Lyon, sous le Second Empire, le théâtre de Guignol est surveillé par la police ; il est soumis à la censure et à l’autorisation préalable. A Paris, le succès des bals soulève la désapprobation des autorités civiles et religieuses. La licence paraît y régner et les danses sont taxées d’obscénité. Le nom du cabaret L’Enfer, haut lieu de plaisir, tourne la religion en dérision. Le mélange de polka et de cancan qu’on danse au bal Mabille, très évocateur, semble un défi et une offense aux bonnes mœurs. Après le carnaval, de nombreux “ inculpés pour danse indécente ” défilent en correctionnelle.
Lieux de sociabilité et de détente, les cabarets, les cafés-concerts, les bals et les théâtres donnent parfois l’impression d’être des foyers de subversion. S’ils ne s’attaquent pas directement au pouvoir, à l’ordre social, aux bonnes mœurs ou à la religion, ils se détournent en tout cas de la pudibonderie et du sérieux bourgeois, à moins qu’ils ne représentent, aussi, une forme de résistance vis-à-vis des régimes autoritaires, Monarchie de Juillet et Second Empire notamment.
Auteur : Ivan JABLONKA
Sources